Alexandre LABRUFFE pour « Un hiver à Wuhan » (Ed. Gallimard).
Entretien avec Alexandre LABRUFFE pour « Un Hiver à Wuhan » (Ed. Gallimard).
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Alexandre LABRUFFE est né à Bordeaux en 1974. Après des études de chinois, il a été en poste dans des Alliances françaises en Chine puis en Corée du Sud. À cette époque, il a publié avec Benjamin Limonet un récit expérimental à 4 mains, Battre Roger (Ed. D’ores et déjà, 2008). Depuis son retour à Paris en 2016, il collabore à divers projets artistiques, théâtraux (notamment avec le metteur en scène iranien Saeed Mirzaei) ou filmiques (avec le réalisateur coréen Jeon Soo-il, pour ses films A Korean in Paris, America Town et le prochain, Département de cinéma), tout en poursuivant sa thèse en Arts et Cinéma à l’Université Paris-3. Il a été nommé attaché culturel à Wuhan en octobre 2019. Il est l’auteur d’un premier roman remarqué, Chroniques d’une station-service, sorti en août 2019 chez Verticales (Ed. Gallimard), traduit en russe et en chinois, lauréat Prix Maison Rouge G7 littéraire.
Dans « Un Hiver à Wuhan », l’auteur essaie de faire émerger des explications à la catastrophe. « Quand je suis arrivé en Chine pour la première fois, je suis entré dans la catastrophe de la mondialisation sauvage ». Dès l’âge de 21 ans, il fut stagiaire contrôleur qualité pour vérifier des produits made in China destinés à l’exportation en France et en Europe.
Alors pourquoi parler de catastrophe découverte en Chine ? « D’abord parce que je vois des ouvriers chinois travailler treize heures par jour, six jours sur sept, et payés vingt euros. Ensuite, je vois des usines déglinguées, une consommation de produits fous, une consommation folle dont l’origine est une folie productiviste. Je veille au paradis futile de la ménagère de moins de cinquante ans. En fait je suis le messie de son monde. Déjà en 1996, j’ai 21 ans , et je vois déjà en Chine un univers dévasté. »
Wuhan est une mégacité chinoise industrielle, « sorte de Gotham City chinoise », dont le ciel est invisible en raison d’une pollution permanente. « Les catastrophes sont à la source du miracle et de la croissance économiques de la Chine. Depuis 1996, j’ai vécu plein de micro apocalypses. Quand un camion de produits toxiques se renverse dans la rivière suite à un accident de la route, il devient interdit d’utiliser l’eau potable qui est désormais contaminée. Il faut alors se doucher à l’eau minérale. C’est une micro apocalypse que je vis. Je suis toujours dans la sidération. Notamment lorsque je vois le foie gras de canard trempé dans le formol, ou quand je vois que le porc est contaminé par la peste porcine, mais qu’on le tue à l’arsenic et qu’on le nourrit aux antibiotiques. Arsenic, antibiotiques et virus ! »
La Chine s’affiche comme le leader du nouveau Nouveau monde. « C’est le pays des merveilles horrifiques. C’est le récit d’un auteur halluciné dans une Chine hallucinée et qui préfigure notre avenir qui est radieux puisqu’il est pollué et orwellien. C’est évidemment ironique, car l’ironie et la poésie sont les seuls moyens de surnager dans un monde qui se défait, et la Chine est peut-être le préfiguration d’une défaite d’un monde merveilleux qui sera impossible à atteindre. La Chine préfigure et scénarise un monde où l’avenir où la seule liberté sera celle de produire et de consommer, gérée par un algorithme qui est psychotique et qui rêve d’une humanité épouvantée mais surtout productive. »
« La Chine est l’utopie réalisée du libéralisme, et le paradis des marketeurs. La Chine s’affiche en grande puissance qui veut renverser les autres grandes puissances qui l’ont envahie, donc elle veut prendre sa revanche. »
Un entretien enregistré lors de la 13e édition de Livres en Vignes, au château du Clos de Vougeot, le samedi 26 septembre 2020.
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