Francis NAVARRE, « Jours ouvrés » (Ed. du Dilettante).

Entretien avec Francis NAVARRE pour son dernier livre, « Jours ouvrés » (Ed. du Dilettante, mars 2024), un recueil de courts textes qui relèvent de carnets de voyages, d’écrits autobiographiques, notamment sur son expérience professionnelle de charpentier en France, mais parfois aussi à l’étranger (RDA et Etats-Unis).

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Francis NAVARRE (68 ans) est né à Paris dans le XVIIIe arrondissement. Depuis 40 ans, il vit dans le XXe arrondissement, même s’il a passé beaucoup de temps en Corrèze, le pays de sa mère. Depuis 35 ans, il a un pied dans l’Yonne où il possède une maison : « Je voulais que mes enfants aient un pied à la campagne. Il s’agissait aussi d’avoir de l’espace pour un chantier naval« . Il est toujours en activité, et exerce toujours avec passion et enthousiasme son métier de charpentier.

Il a raté son bac (« c’était un échec mérité« ), et obtient un CAP de charpentier exigeant « rigueur janséniste » et amour des bois (« odeur vinaigrée du chêne, plus sucrée du sapin; balsamique et suave -de miel- du mélèze… »). Il voulait travailler de ses mains, et il se définit tardivement comme un « charpentier lettré », de même que certains jardiniers se rêvent poètes. Il fera son apprentissage à la confédération compagnonnique (formation accélérée de 840 heures).

« Les vocations manuelles rencontrent peu l’agrément des familles, pas plus la considération publique« .

Dans les années 80, Francis NAVARRE franchit le Rideau de fer, et embauche dans une boîte pour aller travailler dans un pays de l’Est. Il se retrouve alors, en 1983, sur un chantier en RDA (« ce pays de Playmobil« ), pour y construire le stand de Peugeot à la foire de Messe à Leipzig : « nous entrons au pays des soviets, de ses allégories, ouvriers robustes et paysannes aux nattes tressées de fleurs coupées« . L’auteur a une « tendresse obscure pour la pauvre Allemagne de l’Est« . Passionné de mécanique, il découvre les voitures du peuple, les Trabant (des « voitures à pédales« ), mais aussi la moto MZ, représentative d’un rigorisme politique est-allemand où l’on recherche l’efficacité et où la beauté, vertu bourgeoise, est bannie ou jugée superfétatoire : « La MZ n’est pas belle, taillée à la serpe, toute d’à-plats et d’arêtes, mastocs le réservoir, la selle, les garde-boue et sa transmission grossement carterisée« .

Autres expériences mêlant métier et voyage, les États-Unis. Francis NAVARRE y devient « charpentier yankee » et va construire, en Louisiane, une maison en bois. C’est en faisant de l’autostop qu’il rencontre des personnages caricaturaux : le chrétien prosélyte, l’ancien combattant au Vietnam, ou encore le chasseur professionnel ».

Un des chapitres, « Ministère de la Marine, Porte de Vanves », raconte l’histoire d’un jardinier sans jardin. En effet, un des amis de Francis NAVARRE trouve une place de jardinier dans un ministère parisien; mais l’endroit n’a pas de jardin ! C’est ce qu’on appelle un bullshit job : « l’argent existe pour entretenir un jardinier sans jardin alors qu’il s’en trouve si peu pour rétribuer le maraîcher qui remplit notre assiette ou l’homme qui élève notre maison« .

« Jours ouvrés » rappelle que le BTP embauche de nombreux salariés au black : « (…) pour le travailleur du BTP, l’emploi non déclaré est à prendre ou à laisser« . Formidable texte témoignage que « Art abstrait. Rue des Filles-du-Calvaire » où l’auteur se retrouve sur un chantier de réfection d’un immeuble, dans le quartier du Marais, à Paris, où, sur dix hommes mobilisés, la moitié n’est pas déclarée !

L’entretien souligne aussi les accidents du travail qui surviennent souvent en fin de journée, ou en fin de semaine, et évoque, sur le chantier de la Maison des syndicats, à Créteil, la chute accidentelle d’un jeune miroitier qui, volontaire, choisit de monter fixer une bâche que le vent avait détachée, et qui dégringolera dramatiquement, ayant refusé de mettre le baudrier souillé : « Para ou tétraplégique?« 

À celles et ceux qui vont ensuite découvrir et occuper le bâtiment de la Maison des syndicats de Créteil, fruit du travail des différents corps de métier, l’auteur leur demande de mesurer « l’abnégation, la vitalité de (ses) compagnons d’un hiver, leur noblesse aux rudes mains, comme le dit Romain Rolland des flotteurs de bois de Clamecy« .

 

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